|  
                                                
 
 Par 
                                                une chaude après-midi d'été, 
                                                j'ai rencontré à 
                                                la terrasse d'un café, 
                                                l'auteur du livre "Danseurs 
                                                du défi ou Rencontres avec 
                                                la danse Hip Hop", 
                                                Claudine Moïse. Elle est 
                                                arrivée sur son grand vélo 
                                                et a commandé un café 
                                                et moi une menthe à l'eau, 
                                                et c'est ainsi que nous avons 
                                                commencé à discuter. 
                                                Nous avons ensemble abordé 
                                                quelques thèmes qui m'ont 
                                                semblé importants suite 
                                                à la lecture de son ouvrage. 
                                                Mais avec le temps passant, je 
                                                pense également en avoir 
                                                oublié certains. Tant pis, 
                                                je retrouverai sans doute une 
                                                grande dame sur un grand vélo 
                                                qui saura me parler avec cette 
                                                même conviction, de ce qu'elle 
                                                aime vraiment. En tous les cas, vous pouvez d'ores 
                                                et déjà vous régaler 
                                                de quelques propos inhabituels 
                                                à l'écart de tout 
                                                establishment artistique. Sa réelle 
                                                implication dans la scène 
                                                de la danse est indéniable. 
                                                Depuis plus de dix ans, Claudine 
                                                Moïse rencontre des danseurs, 
                                                des compagnies, travaille dans 
                                                le sens de la découverte 
                                                de cette danse auprès du 
                                                public. Rappelons que Claudine 
                                                Moïse participait à 
                                                la programmation des Rencontres 
                                                Urbaines de la Villette, ainsi 
                                                qu'à la programmation danse 
                                                pour la ville de Montpellier. 
                                                Cependant, Claudine Moïse 
                                                prend aussi le recul nécessaire 
                                                pour mieux comprendre et expliquer 
                                                à un public peu initié, 
                                                la culture Hip Hop et ceci sans 
                                                langue de bois. Bonne lecture 
                                                !
    Quelle 
                                              a été votre démarche 
                                              ? Avez-vous pensé en des 
                                              termes sociolinguistiques, c'est-à-dire 
                                              voir et étudier une communauté 
                                              minoritaire ou bien avez-vous été 
                                              stimulée par le côté 
                                              artistique ?
 Bonne 
                                              question. C'est intime. Ce qui s'est 
                                              passé c'est que j'ai vraiment 
                                              aimé la danse, je ne connaissais 
                                              pas du tout. Ca m'a passionné 
                                              et si j'ai eu ce boulot, c'est parce 
                                              que je faisais de la sociolinguistique 
                                              mais en faisant ce travail là 
                                              j'ai découvert le côté 
                                              artistique.
 Quand j'ai eu ce poste à 
                                              l'université où je 
                                              retombais complètement dans 
                                              la sociolinguistique, je n'arrivais 
                                              pas à m'en détacher. 
                                              J'ai eu beaucoup de mal à 
                                              laisser cette question perso, je 
                                              veux dire à abandonner cette 
                                              question artistique, je pouvais 
                                              continuer - et d'ailleurs je ne 
                                              l'ai pas fait - à travailler 
                                              sur ce terrain là du social, 
                                              et je me suis dit, il faut que j'écrive 
                                              quelque chose pour dire ''bon, ben 
                                              c'est terminé''. Ca ne veut 
                                              pas dire que personnellement c'est 
                                              terminé, mais professionnellement 
                                              c'est terminé, d'être 
                                              sur ce champ-là de l'artistique. 
                                              Et c'est à ce moment là, 
                                              j'avais l'idée d'écrire 
                                              un bouquin. En fait, le bouquin 
                                              comme il n'y a jamais de hasard, 
                                              où j'avais ça en tête, 
                                              ces éditeurs là m'ont 
                                              appelé un jour en me disant 
                                              : "On cherche quelqu'un 
                                              pour écrire un bouquin". 
                                              C'est très personnel comme 
                                              bouquin et pas du tout universitaire. 
                                              Ce livre a été dur 
                                              à faire, parce qu'il fallait 
                                              à la fois faire en sorte 
                                              que ce soit accessible : un peu 
                                              de matière, une part de réflexion. 
                                              Et je voulais qu'il y ait quelque 
                                              chose d'artistique sur le mouvement, 
                                              et pas une étude sociologique 
                                              parce qu'il y en a déjà 
                                              beaucoup !
 
 Quelle 
                                              force, quelle énergie et 
                                              quelle philosophie avez-vous trouvé 
                                              dans cette danse ?
 Des 
                                              danseurs travaillant beaucoup, devenant 
                                              professionnel ou en tout cas s'investissant 
                                              complètement dans la danse, 
                                              qui n'ont plus le temps ni de travailler, 
                                              ni de vraiment rencontrer d'autres 
                                              danseurs. L 'énergie de la 
                                              danse, c'est-à-dire une espèce 
                                              de constance, de volonté, 
                                              c'est dur, c'est du labeur. Travailler 
                                              son corps c'est difficile en danse 
                                              en général et pour 
                                              le break en particulier. Donc il 
                                              y a ceux qui restent, ceux qui durent, 
                                              ceux qui sont encore là et 
                                              qui ont 30-35 ans, qui savent que 
                                              c'est difficile. Donc il y a une 
                                              énergie, pas une énergie 
                                              fulgurante mais une énergie 
                                              intérieure, de lenteur, à 
                                              répéter douze heures 
                                              par jour, à répéter 
                                              et rerépéter. A bosser 
                                              tout simplement. Leur danse est 
                                              fulgurante, mais comme il y a cette 
                                              lenteur du corps et que la danse 
                                              apaise, on est crevé quand 
                                              on a dansé toute la journée. 
                                              Du coup les danseurs sont souvent 
                                              très calmes, ce n'est pas 
                                              comme dans le rap où la parole 
                                              est percutante. Parce que leur truc 
                                              ce n'est pas trop la parole, mais 
                                              plutôt le corps. Dans la philosophie 
                                              autour du Hip Hop, il faut se construire 
                                              par soi-même, il faut l'énergie 
                                              de base, je trouve qu'elle existe, 
                                              et notamment dans la transmission, 
                                              ce qu'on apprend aux autres, auprès 
                                              des jeunes, comme Kader des MCR 
                                              (Montpellier) qui est toujours dans 
                                              son quartier, à transmettre.
 
 Ce 
                                              que vous venez de dire est propre 
                                              au Hip Hop, d'après vous 
                                              ou on retrouve également 
                                              ce besoin de transmission, et cette 
                                              philosophie au Brésil, avec 
                                              la capoeira ou dans l'Est asiatique 
                                              avec les arts martiaux ?
 C'est lié au Hip Hop, mais 
                                              c'est aussi lié à 
                                              la classe sociale, on dit ça 
                                              rapidement, mais il y a à 
                                              transmettre d'où on vient 
                                              et où on va. Donc c'est plutôt 
                                              lié à ça, que 
                                              ce soit à travers les arts 
                                              martiaux ou la capoeira, parce que 
                                              la capoeira est aussi une pratique 
                                              populaire.
 
 Est-ce 
                                              que la danse souffre de stéréotypes, 
                                              d'amalgames, un peu comme dans le 
                                              milieu musical ?
 La gestuelle est quand même 
                                              très très variée, 
                                              complexe et multiple. En plus, je 
                                              dirais, les années passant, 
                                              on passe du break, de la hype, donc 
                                              ça c'est de la base, ensuite 
                                              il y a tout ce qui est, de la vague 
                                              ou du smurf, ça déjà 
                                              c'est stéréotypé. 
                                              Puis il y a tout ce qui a été 
                                              repris, il y a la fois ce qui est 
                                              repris par les cours de gym et en 
                                              Italie on voit beaucoup ça. 
                                              Il y a ce stéréotype-là, 
                                              et puis il y a celui du breaker 
                                              qui ne fait que des figures au sol. 
                                              Puis, il y a tout le débat 
                                              autour du thème "c'est 
                                              authentique, c'est pas authentique", 
                                              on est dans les vraies figures ou 
                                              on les a trahies. Et puis il y a 
                                              aussi la trahison autour de l'institutionnel, 
                                              underground ou pas underground, 
                                              ce qu'on crée pour faire 
                                              plaisir à l'institution quand 
                                              on répond à une commande 
                                              ou bien on reste dans la création 
                                              et dans ce qu'on aime. Ca reste 
                                              le gros débat dans les compagnies 
                                              : est-ce qu'on vend son âme 
                                              au diable ? C'est un peu moins le 
                                              cas à l'heure actuelle. Et 
                                              au niveau des gens, personne ne 
                                              connaît, ou alors on connaît 
                                              un peu le break, on voit des mecs 
                                              qui font des figures au sol et la 
                                              hype, qu'on voit dans les clips 
                                              à la télé, 
                                              mais il y en a qui ne sont pas mal. 
                                              Mais ce qui est complètement 
                                              méconnu, et ça c'est 
                                              vrai pour toute la danse, ce sont 
                                              les créations des compagnies 
                                              de danse, comme MCR, qui montrent 
                                              des choses à part de ceux 
                                              qui font de la danse. C'est compliqué, 
                                              t'en vois dans la rue parfois, il 
                                              y a des trucs sympas, là 
                                              ils sont obligés parce que 
                                              c'est dans la rue, il faut que ce 
                                              soit un peu spectaculaire, donc 
                                              c'est souvent du break. Et ils sont 
                                              bons, c'est très beau, c'est 
                                              très bien, mais je pense 
                                              que ça n'est quand même 
                                              pas connu. Et puis, il y a encore 
                                              des gens - et ça me désole 
                                              - qui pensent en terme de stéréotype 
                                              et qui disent ''danse Hip Hop = 
                                              banlieue'', voyou, tout ça. 
                                              Alors que c'est tellement de boulot 
                                              ! Alors que créer, et faire 
                                              de la musique c'est du travail, 
                                              c'est absurde !
     |