Rencontres 2001 de la Villette à Paris

       

 




Rencontre avec la chorégraphe Max-Laure Bourjolly de la compagnie Boogi Saï.

 

Pour en revenir au parcours de Boogi Saï, avez-vous eu des difficultés particulières face aux administrations ou aux institutions, par exemple?

Bien sûr, on a rencontré des difficultés parce que, quelque part, nous, danseurs et chorégraphes, sommes toujours dans un rêve. Lorsqu'on a monté une création et que le public nous a ovationné, on part, on est dans un rêve, on est heureux. Et après, il y a l'autre paramètre, il y a tout le côté administratif à gérer, et c'est ce côté qui fait que, finalement, on finit par redescendre sur terre, et se dire qu'il y a tout un travail à faire derrière, tout un travail de relance par rapport à la création, un travail de communication. Et ce travail-là, est aussi présent que le travail artistique, on ne peut pas passer à côté, et là on redescend sur terre, vraiment. Et puis, il y a des choses qu'on ne maîtrise pas, qui sont politiques, après c'est tout un jeu tactique.

Alex Benth, votre collaborateur et co-fondateur de Boogi Saï, exprimait "le mépris du monde culturel" à l'égard de la danse hip hop, ressentez-vous la même chose ?

Oui, disons qu'il y a une période où c'était clair, on le voyait, on le ressentait, à la rigueur, ça nous donnait même matière à exprimer notre rage. Et puis il y a une autre période, où le discours disait qu'on nous reconnaissait, qu'on reconnaissait la danse hip hop, le danseur hip hop, l'écriture, l'école. Et à côté de ça, pour pouvoir la reconnaître, il fallait qu'on se mélange, qu'il y ait de la mixité entre danse hip hop et danse contemporaine. Donc, là, c'est vrai qu'à un moment donné c'était complexe dans nos esprits, parce qu'on avait envie d'affirmer nos différences, pas forcément la mixité d'ailleurs, peut-être à travers ce que nous sommes nous : des danseurs hip hop. Mais ce qui me dérangeait, c'était comme si on nous obligeait à adopter une autre identité pour pouvoir exister, et là c'était injuste. Donc, c'était cette période-là, à travers les reportages à la télé, d'ailleurs sur Arte, on a bien pu le voir, des contemporains qui s'exprimaient d'une manière qui m'a choqué un petit peu, et je ressentais un cela comme une mainmise sur le hip hop, et ça n'est pas vieux.


Et y a-t-il évolution ?

Je pense que l'évolution est de notre côté, on a compris ça et on détourne (geste de la main qui prend un virage à gauche, en contournant, une masse "invisible"). C'est-à-dire que, petit à petit, on a mesuré les paramètres et on s'est dit "Bon, il faut qu'on maîtrise de plus en plus notre historique", et qu'on puisse en face pouvoir avoir des éléments pour être objectifs aussi, et pour pouvoir dire "Nous sommes ça". S'il faut qu'on collabore, il faut accepter cette différence-là aussi. Nous sommes prêts à collaborer, mais il faut qu'on ressente les deux pôles, et pas uniquement leur vision des choses. Je pense que nous avons évolué là-dessus. C'est Boogi Saï et les leaders des autres compagnies -de ma génération- qui ont mûri, qui ont compris des choses, là je parle d'une philosophie plus généralisée. Il y a des choses qu'on a compris -tous- parce qu'à travers Boogi Saï, nous avons compris des choses, mais à nous seuls, on ne peut pas changer le monde. Mais à plusieurs on a compris des choses et ça se ressent.


C'est votre seconde participation au festival, avez-vous conçu ce spectacle pour les rencontres de la Villette ?

Disons qu'à la base, nous étions en résidence au Forum Culturel du Blanc-Mesnil. Nous avons été soutenus par ce théâtre-là, qui est un théâtre conventionné, et par la suite, on a embrayé sur la Villette, qui nous suit et nous soutient. Il y a également la DRAC d'Ile-de-France qui nous aide.

Est-ce difficile de faire un spectacle de trente minutes ?

Au début, j'étais partie sur une heure. Mais avec le temps que le Blanc-Mesnil nous a donné, on a deux mois de création dans les lieux. Au bout de deux mois, avec un troisième élément qui est la vidéo, je ne pouvais pas aller au-delà d'une demi-heure, parce que la vidéo est une création. La danse, la lumière et la musique aussi. Donc, ça faisait beaucoup en peu de temps. J'ai décidé de développer un tableau, le monde virtuel, parce que dans mon histoire, il y a un monde virtuel et un monde réel.


Pour quelles raisons avez-vous justement exploré la virtualité pour ce spectacle ?

C'était mon truc, parce que quelque part, je n'arrive pas à parler de choses que je ne ressens pas ou que je ne vis pas. Il faut que je les vive pour pouvoir en parler, sinon je n'arrive pas à créer une histoire. Il faut vraiment que je sente ce que je vais retranscrire sur scène. C'est-à-dire que, par rapport à la virtualité, je pense qu'on est dans une époque où, non seulement on subit le virtuel, mais on utilise le virtuel. A l'image de ce que l'on voit à la télé, tout est schématisé par le virtuel. Quand on commence à voir un spot publicitaire, (gestes) hop hop, ça s'amène, et ça n'est pas une image réelle, c'est une image virtuelle. Même pour les génériques, c'est encore des images virtuelles, on est baignés dedans, on y est habitués ça devient naturel, alors que c'est du virtuel. Et puis, j'adore jouer aux jeux vidéo, aujourd'hui, autour de nous, tout le monde utilise des ordinateurs, donc on est baignés dans cet univers. Je suis dans un contexte que je vis, que je ressens et puis il y a d'autres thèmes traités à l'intérieur, notamment la solitude, l'anonymat, l'exclusion, et le besoin de communiquer.
C'est vrai à l'image de ce que je vis aussi au quotidien, par exemple quand je prends le métro, j'ai l'impression que les gens ne se regardent plus, ne communiquent plus, comme si nous étions des numéros. On se bouscule, on ne se dit même plus pardon, on ne se dit plus bonjour. On ressent un manque de communication, l'anonymat, l'enfermement, les gens sont de plus en plus seuls. Et c'est vrai qu'à travers la pièce, j'ai eu envie de développer l'histoire d'un personnage qui ne trouve pas sa place dans un monde réel, et qui a eu envie de rentrer dans un monde virtuel, de se créer son monde à lui. C'est ce qu'on peut retrouver à l'image des personnes qui essaient de communiquer par emails ou par d'autres formes qui existent sur Internet. Finalement les gens ne se voient pas, c'est une communication virtuelle. Et quelque part, ils éprouvent toujours la peur de se rencontrer, parce que, pour exagérer un peu, celui qui est un peu déformé, qui a une bosse là (elle se penche, voûte son dos, et de la main dessine une bosse derrière l'épaule), se dit, "J'ai un bon pote sur le net, mais je n'aimerais pas qu'il me voit, il ne va peut-être pas me kiffer si jamais il me voit en vrai". Donc, il y a toujours ce côté, où ça reste quand même de la communication virtuelle, où les gens sont seuls. Et j'ai eu envie d'en parler. Mais, quelque part, mon histoire se termine "bien" entre parenthèses, parce que face à leur monde, ils finissent par se libérer, par être à visage découvert et se dire qu'ils sont libérés d'un enfermement. Ce personnage finit par se retrouver avec d'autres gens comme lui. Pendant, le spectacle, on ressent ce besoin de communiquer, cet enfermement, et puis tout d'un coup, hop, à visage découvert, et non, finalement on est seul, et à la fin ils se retrouvent.

 

 

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